Jeremiah & Saskia

and we are family

Ça tournait, encore et encore dans sa tête. Cillian ne semblait jamais quitté ses pensées. Cette situation était tout bonnement insupportable à force. Elle osait à peine rejoindre ses parents au salon. Les repas de famille, même pas la peine d'y penser. Elle craignait déjà le dimanche midi en famille. Sans Cillian dans les parages, elle n'avait déjà pas envie de voir le regard de sa mère ou de son beau-père. Elle avait l'impression qu'ils se rendraient compte de tout juste en un regard. Et c'était ce qui lui faisait le plus peur. Qu'ils découvrent tout. Et que cette famille, qu'elle avait mis tant de temps à accepter, vole en éclat. Et là, alors que Mélusine lui offrait un jour de repos, elle n'en profitait même pas. Elle s'était enfermée dans sa chambre pour sortir un vieux carton poussiéreux de son placard. Ce carton, elle l'ouvrait toujours dans les moments difficiles. Quand elle avait une décision à prendre par exemple. C'était là qu'elle rangeait toutes les affaires qui avaient un rapport avec son père. Par respect pour Yvan, elle avait toujours tout cacher dans ce carton. Un peu de la même manière qu'elle n'affichait pas facilement le tatouage qui ornait sa nuque. Quelques heures plus tard, elle était installée sur son lit, des tas de photos éparpillés devant elle. Des photos d'elle et son père, des photos de son père tout seul. Et il avait toujours ce regard bienveillant, ce sourire heureux. Comme il lui manquait. Elle sortit une autre photo, alors que la porte de sa chambre s'ouvrait. Sa mère apparut dans l’entrebâillement. « Sas', qu'est ce qui t’arrive ? » Elle secoua la tête. « Absolument rien maman. » Sa mère prit une moue dubitative avant d'entré dans la chambre. « Tu regardes les affaires de ton père que quand quelque chose te dérange. Comme quand j'ai fait mon attaque et que tu te demandais si tu retournerais à Dublin ou pas.... » Voilà pourquoi elle ne pouvait pas passer trop de temps avec sa mère en ce moment, elle lisait en elle comme un livre ouvert. Saskia baissa la tête, posant son regard sur la photo qu'elle tenait. « Papa me manque c'est tout. » Elle tendit la photo à sa mère. « Je me souvenait pas de celle là. C'est à votre mariage. C'est la sœur de papa à côté, c'est ça ? » Sa mère se contenta d'un hochement de tête. « Et le petit garçon à côté c'est qui ? C'est bizarre sa tête me dit quelque chose... » Elle écarquilla alors les yeux en voyant la tête gênée de sa mère.

Elle n'avait pas réfléchi, elle était sortie en trombe, était entrée dans sa voiture et avait démarré comme une furie, pour s'arrêter devant la boutique de l'apothicaire. Réellement, comment sa mère avait-elle pu lui cacher une chose pareille. Elle avait un cousin, un membre de la famille de son père ici, en ville. C'était juste incroyable. Et tout ce temps, sa mère le lui avait caché. Et elle était pas mieux, elle connaissait cette boutique, elle était venue il y a un moment déjà, quand elle était au lycée. Elle n'en était pas très fier d'ailleurs. Avec Marnie, elles avaient lancés des tas d’œufs sur la devanture de la boutique. Elle laissa tomber son front contre son volant. La colère venait de s'envoler, tout comme son assurance. Et puis zut, elle releva subitement la tête, elle était Saskia Heckart. Elle sortit de la voiture et fit claquer la portière. Elle s'engouffra rapidement dans la boutique. C'était partie pour rencontrer son cousin !

La journée avait été longue. Non pas parce qu'il y avait eu de nombreux clients et qu'il n'avait plus su où donner de la tête jusqu'à l'heure de la fermeture, mais bien parce qu'il avait une empotée d'assistante. Bien sûr Grace Mclaggen était une bien jolie demoiselle, des yeux bleus à se damner et des cheveux blonds desquels se dégageaient un parfum fleuri, malheureusement la pauvre créature semblait être née munie de moufle à la place des mains et il n'était pas un jour sans que des bris de verres ne viennent joncher le sol. Le nouveau propriétaire des lieux qu'il était se serait d'ailleurs volontiers frapper la tête contre les murs en la voyant tenter de se démener pour cacher les catastrophes qu'elle semait sur son passage, et dans de longs soupirs ennuyés il se demandait, sans détours, ce qui avait bien pu lui prendre le jour où il avait accepté de la prendre comme apprentie en échange de la boutique. Il se disait qu'au train où allait les choses, elle finirait bien par couler sa petite officine.

La main tout contre la petite pancarte qu'il retournait, il regardait la silhouette de la jeune femme s'éloigner dans l'obscurité déjà naissante. Elle jetait un regard en arrière, croisant son regard alors que lui fuyait cette confrontation comme pour s'éviter la brûlure glacée de son regard azurée. Puis vivement il retournait la pancarte qui informait désormais à l'aide de jolies lettres délicatement peintes en noires que la boutique était fermée, et ne prit pas la peine de fermer la porte d'un tour de verrou. C'était peut être un peu naïf de sa part, mais il imaginait que la ville n'avait pas changé depuis son enfance, que la criminalité y était toujours quelque chose de très ponctuel et qui se résumait le plus souvent par la destruction d'une boîte aux lettres à force de pétards récupérer à la fête foraine.

A l'extérieur les lampadaires s'allumaient les uns après les autres sous l'inévitable déclin du soleil sous l'horizon. Il se détournait alors de la porte pour mieux prendre le chemin de l'arrière boutique. Là, il se mit à préparer avec application toutes les nouvelles lotions, ou encore mélanges savant de racines, de plantes, et autres décoctions que les jeunes rapportaient être des potions magiques. S'il n'y avait aucune magie entre ses mains, il était vrai, et il ne pouvait pas le nier, que sa façon de se comporter très secrètement en ne côtoyant presque personne pouvait mettre le doute dans les esprits les plus superstitieux. Cela dit il ne s'en était jamais formalisé, et avait toujours quelque peu relativisé ses jours où sa vitrine devenait la cible des bêtises d'enfants.  

Il versait encore un peu de poudre de coquelicot dans la balance quand la clochette de la porte d'entrée vint à retentir à ses oreilles. Aux aguets et à la fois intrigué, il relevait la tête avant d'abandonner sa paillasse pour revenir à la salle de vente. Là, échevelée, l'attendait une jeune femme qu'il avait vu une ou deux fois ses dernières années, et qui n'avait, semble-t-il, jamais voulu lui adresser la parole, mais assurément avait souhaité lui mener la vie dure. Perplexe, il croisait les bras sur sa poitrine, et haussé un sourcils circonspect en la regardant. « Le magasin est fermé, il faudra revenir demain. », avait-il rajouté avec cette froideur qui lui collait à la peau. Et sans trop se mouvoir, il s'était laissé tombé en arrière jusqu'à ce que ses reins prennent appuis sur le bord du comptoirs en vieux marbres veiné. « A moins qu'il ne s'agisse d'autre chose ? Peut être besoin d'un sort ? D'une potion pour faire tomber tout les adolescent amoureux de toi ?! », l'air on ne peut plus sérieux, il se jouait des convenances et des rumeurs qui circulaient à son sujet, s'amusant presque de la situation qui lui semblait pourtant bien incongrue.

Jeremiah & Saskia

and we are family

Avoir un lien avec son père avait longtemps été l'obsession de Saskia. Tout faire pour être -au moins un tout petit peu- la Sassy de son papa. Mais quand Cillian l'avait appélé comme ça, c'était l'inverse qui se produisait dans sa petite tête, elle avait l'impression de s'éloigner de son père, de laisser quelqu'un d'autre tenter de lui voler sa place. Maintenant qu'elle savait les vrais raisons qui avait poussé son incroyable demi-frère à l'appeler ainsi, elle avait d'autant plus besoin de s'accrocher à son père. Tout au long de sa vie elle avait ressentie régulièrement ce besoin. Comme ça qu'elle avait fait son tatouage sur sa nuque. Mais maintenant savoir qu'elle avait là, tout près d'elle, un membre de la famille de son père... Cela n'aurait-il pas été le lien qu'elle cherchait ? Elle aurait pu créer des liens avec son cousin depuis longtemps, un vrai lien indestructible, un lien qui l'aurait lié à son père depuis longtemps. Pour le moment, elle sentait juste un terrible sentiment de trahison envers sa mère. Elle savait que ça passerait. C'était sa maman, elle lui pardonnerait toujours, parce qu'elle savait qu'elle ne faisait que des choix sensés protéger Sas'. Mais la jeune femme n'avait plus besoin de cette protection depuis longtemps. Ce que sa mère ne semblait pas encore comprendre. Mais tant pis, elle rattraperait le temps maintenant, en débarquant brutalement dans la vie de son cousin. Après tout, elle ne savait pas trop faire en douceur. La douceur, c'était Cillian. Elle secoua la tête, comme repoussée, encore une fois, son demi-frère de son esprit.

En sortant de sa voiture, elle se rendit à peine compte que la nuit commençait à tomber, que les lampadaires commençaient à tous s'allumer en ville. Le port commençait à changer d'humeur, de couleur. Elle avait pourtant toujours aimé ça, mais là, son esprit était accaparé à autre. Elle entra dans la boutique sans remarquer la pancarte qui annonçait que l'officine de l’apothicaire était maintenant fermé. Il semblait qu'elle avait perdu toutes notions de temps. Se concentrant sur le moment présent. Elle savait déjà qu'en voyant le visage de l'apothicaire, de son cousin, elle allait se mettre à chercher tout les petits détails qui lui rappellerait son père, les traits de ressemblances. Peut-être même avait-il une ressemblance avec elle même... Une clochette tinta quand elle ouvrit la porte. La boutique semblait vide, jusqu'à ce que Jeremiah ne sorte de derrière. « Le magasin est fermé, il faudra revenir demain. » Il ne semblait pas du tout heureux de la voir. Ce qu'elle pouvait finalement comprendre facilement. Avec Marnie et d'autres amis du lycée, ils avaient souvent recouvert sa vitrine d’œufs, de papier toilettes et tout ce qui leur tombait sous la main de manière général. Elle était loin d'en être fière maintenant. Dernièrement, elle passait à se rendre compte à quel point elle avait été peste. « A moins qu'il ne s'agisse d'autre chose ? Peut être besoin d'un sort ? D'une potion pour faire tomber tout les adolescent amoureux de toi ?! » Elle ne put s'empêcher d'éclater de rire. Comme si elle avait besoin de ça de toute façon. Comme si elle voulait ça. Une formule magique pour savoir la marche à suivre avec Cillian, à la limite. Mais même là, elle ne savait pas vraiment ce qu'elle voulait. Le repousser ou au contraire... Zut, elle était pas là pour ça. « Désolée de vous décevoir mais je n'ai jamais eu besoin de pouvoir magique pour ça. Et surtout pas sur des adolescents. Beurk, j'ai l'air de m'intéresser à de jeunes garçons ? » Comment savoir ce que disait vraiment les rumeurs sur elle, après tout. Après avoir fait le tour des hommes de la ville, elle aurait pu s'intéresser aux lycéens. La prochaine étape devrait donc être les vieux, en toute logique. « Je suis là pour totalement autre chose... » Elle attrapa une de ses mèches de cheveux, la nervosité la gagnant à nouveau. Elle ne savait pas du tout comment lancé cette conversation. Finalement, elle tira la photo qu'elle avait trouvé plus tôt de la poche arrière de son jean. « J'aurais un truc à vous montrer. » Elle se contenta de poser la photo sur le comptoir. Elle se lancerait dans les explications une fois qu'il l'aurait vu.