En tant que femme du maire, Char ne pouvait jamais coupé court aux événements de la ville. Mais cela ne l'avait jamais dérangé. Elle aimait sa ville. Elle y avait grandit et participait donc toujours avec plaisir. Quand aux choix du stand, elle s'en moquait un peu. Elle changeait pratiquement chaque année. Cette année, c'était celui des gaufres et des crêpes. Elle avait alors passé son après-midi à préparer de la pâte à crêpe. Deux énormes saladiers. Sans doute pas assez pour tenir toute la soirée, mais elle n'était pas la seule à en préparer. Le travail de tous combinés devraient suffirent. Surtout s'ils faisaient tous d'aussi gros saladiers qu'elle.

Elle arriva au port à l'heure convenue. Il ne restait déjà pas beaucoup de places sur le parking mais elle parvint malgré tout a rangé son 4x4. Puis elle passa au milieu des autres stands avec ses bras chargés. « Tirez-mon nom madame Butler ! » Elle adressa un sourire au jeune qui venait l'appeler. C'est vrai qu'il y avait aussi cette nouveauté au festival. Le tirage au sort. Elle ne savait toujours pas où Declan avait péché cette idée. Surtout celle de la choisir elle. Elle lui avait suggéré de choisir Sinead plutôt. Leur fille le ferait très bien. Mais il avait insisté. Charleen le soupçonnait de faire ça pour lui montrer qu'il tenait à elle malgré tout. Malgré l'état de leur mariage, malgré ses maîtresses. Elle ajoutait mentalement malgré son amant à elle.

Elle arriva finalement au stand et déposa sa cargaison. Plusieurs personnes étaient déjà là. Elle s'arma de son plus beau sourire. « Bonsoir ! Prêts à mettre le feu au bateau ? » Pour ce soir, elle voulait profiter de sa soirée et oublier ses problèmes familiaux.

Le festival de brûle-bateau a toujours été, de tout les événements de la ville, le préféré pour Char. Il faut dire qu'il avait marqué sa vie. Combien de chose avait-elle fait brûler dedans ? La toute première chose à faire un tour dans un bateau destiné à cramer avait été une photographie. Celle de la famille qu'ils étaient avant le divorce. Avant que tout ne vole en éclat. Des tas d'autres objets avaient suivis depuis. Chacun avec sa signification propre. Le festival, c'était le moment pour elle de faire le point sur sa vie, de prendre des décisions sur l'avenir. Il n'y avait que ce soir qui faisait exception à la règle. Sans doute parce que faire le point sur sa vie chaotique était trop compliquée. Se lancé à corps perdu dans la préparation du festival était donc plus facile que de réfléchir au reste.

Lorsqu'elle arriva sur le stand, plusieurs personnes étaient déjà là, mais on lui annonça que la bénévole qui serait son binôme n'était pas encore là. Charleen ne se souciait que rarement des personnes qui étaient avec elle sur les stands. Elle n'avait pas vraiment d'ennemies ici et faisait même plutôt tout pour que ça reste comme ça. La femme du maire ne pouvait se permettre de se retrouver au milieu d'une querelle idiote. Char commença donc à s'installer. Si sur le stands ils fonctionnaient pas deux, c'était pour laisser une personne aux crêpes et l'autre aux gaufres. Même pour un petit événement, l'organisation était primordiale. Finalement, une jeune femme arriva enfin. « Bonjour tout le monde. » Char lui adressa un sourire alors qu'elle venait près d'elle. « Enchantée de vous rencontrer madame. Je m’appelle Alana. » Il ne suffisait de pas plus pour que Charleen resitue la jeune femme dans son esprit. Alana O'Neill, bibliothécaire. Char faisait toujours un effort pour retenir les habitants de la ville. C'était chez elle, ici. « Oui vous êtes bibliothécaire n'est ce pas ? » Elle lui tendit la main. « Je suis Charleenn Butler. Mais appelez moi Char. » Elle se souvenait avoir entendu l'histoire de la bibliothécaire malentendante, mais l'institutrice se disait bien que ce serait que de manquer de tact que de parler de ça.

« Et vous vous devez être l’institutrice. » Charleen se fendit d'un sourire. Elle appréciait de ne pas être appeler la femme du maire. C'était un peu le rôle qu'elle devait endosser ce soir. Parfois, elle se donnait l'impression de changer de personnalité suivant ce qu'elle devait faire. Un coup, la femme du maire, un coup la maman, un coup l'institutrice. Des soirs comme celui-ci, pour la ville, elle était juste celle qui était mariée à Declan. En l'appelant l'institutrice, Alana faisait combiner toutes ses personnalités et cela lui faisait du bien.

Elles s'attelèrent chacun à sa tache, Alana sur son gaufrier et elle sur sa crêpière. Char détestait cette appareil. Elle avait appris à le maîtriser, mais très difficilement. On lui en avait offert un, une fois. Il prenait la poussière dans un placard. Elle préférait utiliser une bonne vieille poêle pour ses crêpes à la maison. Elle savait même faire sauter sa crêpe et la rattraper avec sa poêle pour la tourner. Avec une crêpière c'est tout de suite moins intéressant. « Est-ce que ça vous ennuierait tout à l’heure, lorsque beaucoup de personnes viendront sur notre stand de… » Char tourna son regard vers la jeune bibliothécaire qui semblait visiblement gênée. « De m’aider si jamais je n’entend pas ce qu’on me demande. Avec tout ce bruit je vais surement ne pas être en mesure de pouvoir tout comprendre et les gens vous regardent rarement occupés comme ils sont. Ça risque d’être dur pour moi de lire sur leurs lèvres. » Char eut un sourire reconnaissant. Elle qui se demandait si elle devait abordée le sujet des problèmes d'auditions de sa binôme ce soir, voilà qu'elle le faisait d'elle-même. Au moins, les choses étaient plus clairs. « Bien sûr. Ne vous en faites pas. » Elle continua à graisser son appareil quelques secondes avant de se tourner de nouveau vers Alana. « Donc si je veux m'adresser à vous, il vaut mieux que je m'assure que vous soyez en train de me regarder, c'est ça ? » Maintenant qu'elle avait lancé le sujet, Char se permettait davantage de poser des questions. « Ce doit être quand même être impressionnant de vous voir lire sur des lèvres. »

Le monde arriva rapidement, bien trop rapidement au goût de Charleen qui aurait préféré se réessayer à la crêpière avant de devoir véritablement sans servir. D'ailleurs, cela ne loupas pas, la première qu'elle fit était pleine de trous et pas vraiment ronde. Elle la mit de côté sur une assiette. Char décréta d'ailleurs que ce serait son assiette à raté. Elle qu'il y en aurait d'autres. Cela ferait de quoi grignoter pour les filles du stand. Grand miracle, la deuxième fut parfaite et le jeune homme put repartir avec sa crêpe au nutella. « Pas forcément, si je vous regarde c’est mieux, mais à partir du moment où vous parlez assez fort c’est bon. Nous sommes côte à côte donc j’ai plus de chance de vous entendre que les gens qui seront en face de nous… » Charleen nota tout cela mentalement en étalant de nouveau de la pâte à crêpe à l'aide de sa spatule en bois. Celle-ci ne serait pas parfaite mais réussi quand même. Elle mettait un poins d'honneur à facilité la vie de son binôme, du moins pour la soirée. Elle veillerais donc à parler fort, mais pas non plus à crier, pour ne pas faire peur aux visiteurs de clients. Au moins c'était une façon de parler qu'elle avait maîtrisait dans sa salle de classe. Il fallait parler assez fort pour être entendue par les rangs du fond, mais pas trop pour ne pas effrayer les rangs de devant. Avec les élèves de maternelle, le ton de la voix était important. Il ne fallait ni les brusquer, ni s'énerver mais tout en leur montrant qui commandait ici. Tout était dans le ton, dans la façon de le dosée. Elle utilisé d'ailleurs un ton plutôt amusée pour dire qu'il serait intéressant de voir la bibliothécaire lire sur les lèvres. « Pas vraiment, en fait la plupart des gens ne s’en rendent pas compte… » Avec un sourire, Char tendit la crêpe à la confiture de fraise qu'elle venait de finir et glissa la monnaie qu'on lui tendait dans la boite prévue à cet effet. Elle se mit à huiler sa crêpière pour faire la crêpe au sucre qu'on venait de lui demander. « La plupart des gens ne s'en rendent pas compte parce qu'ils ne cherchent pas les détails qui sortent de leur moule. » Elle versa une louche de pâte à crêpe. Elle savait de quoi elle parlait. Declan et elle offrait l'image du couple parfait et personne ne cherchait plus loin. « Ce n'est qu'une fois qu'ils le savent qu'ils remarquent ses détails. » Elle passa sa spatule de bois pour étaler la plate, avec un geste circulaire. « J'ai hâte de les voir moi. » Ajouta-t-elle à Alana en lui faisant un petit clin d'oeil.

Le monde qui arrivait rendait toute conversation compliqué, mais jusque là, Charleen et Alana semblèrent maîtriser la technique. Bon, Char n'était pas sure d'avoir engagé la conversation la plus intéressante du monde, mais au moins, il y avait une conversation. Et puis, elle se disait que sa binôme méritait bien une collègue qui lui parle un peu. Surtout pour l'avoir appelé l'institutrice et non la femme du maire. La bibliothécaire pouvait lui demandé ce qu'elle voulait, juste pour ça. « Vous me direz ce que vous en pensez, alors. »

Ce furent malheureusement les derniers mots qu'elles purent échangés avant un moment. La foule devint de plus en plus denses au fur et à mesure de l'avancée de la soirée. Char put finalement vraiment voir Alana lire sur les lèvres que lorsque c'était presque la fin, quand elle n'avait plus de clients. Il restait à la bibliothécaire un client. Posée en retrait avec une bouteille d'eau, Char put l'observer comme elle le voulait. D'autant plus qu'à distance, elle n'en entendait pas ce qui se disaient. Elle tenta elle de lire les lèvres de la femme qui commandait. Elle cru identifiés le mot gaufre, mais elle se disait qu'elle devait l'avoir plus deviné qu'autre chose. Finalement, Alana parvint à finir de servir son dernier client de la soirée. Char lui tendit un bouteille d'eau à son tour, alors qu'elle venait se poser à côté d'elle. « Je le redis, c'est impressionnant. C'est pas fatigant aussi ? J'aurais jamais pu tenir la soirée à me concentrant sur leurs lèvres... »

Un grésillement se fit finalement entendre dans le haut-parleur au dessus de leur tête. Char retint une grimace en entendant la voix de son mari. Toujours jouée à la femme parfaite. « Je suis désolée, je vais devoir te laisser ranger seule, ça ne te déranges pas ? Le devoir m’appelle... »